jeudi 14 juin 2001

cinéma iranien

Le cinéma Azadi offre un cadre moderne, avec un son de qualité et des fauteuils moelleux, mais pas les films des réalisateurs qui ont donné ses lettres de noblesse au cinéma iranien. La diffusion des oeuvres récentes de cinéastes couronnés à l'étranger comme Abbas Kiarostami et Jafar Panahi reste interdite par le ministère de la Culture et de la guidance islamique. Même sanction pour "Santouri", le drame social sur l'accoutumance à la drogue de Darioush Mehrjoui, auteur du chef d'oeuvre de 1969 "Gav" (la vache), qui attend toujours une autorisation de sortie plus d'un an après avoir été terminé. "On ne trouve ni raison ni logique à la censure existante dans notre cinéma", a dit récemment le réalisateur Behrouz Afkhami, un leader de la nouvelle vague post-révolutionnaire, dans le journal Etemad. Le cinéma Azadi offre à la place des productions plus anodines comme "Deuxième épouse", dont les affiches fleurissent depuis des mois dans la capitale. Son héros y est forcé de renoncer à sa nouvelle femme quand sa première épouse rentre de l'étranger. Le film a plu aux censeurs en incluant des scènes de piété religieuse, de prière, et un héros moralement fort. Mais l'absence de créations plus audacieuses, qui avaient vu le jour sous la présidence du réformateur Mohammad Khatami à partir de la fin des années 90, commence à inquiéter la profession. "Le manque d'attention envers le cinéma culturel, qui est considéré comme un atout national, est préoccupant", ont remarqué environ 50 réalisateurs iraniens dans une lettre ouverte publiée plus tôt cette année. Ils se sont alarmés que "les décideurs (...) aient isolé et même effacé ce genre de cinéma de l'offre au grand public". Le ministre de la Culture, Mohammad Hossein Safar Harrandi, un proche du président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad, a dénoncé la vague de films sur "un garçon et une fille", selon ses termes, qui florissait sous M. Khatami. Il a jugé ces oeuvres "éloignées des valeurs familiales et éthiques", ainsi qu'"en partie négatives". "Santouri" conte l'histoire d'un joueur de santour, un instrument de musique à cordes, dont l'accoutumance à l'héroïne détruit le mariage et l'envoie à l'asile. L'épouse sensuelle du musicien chante fréquemment seule, le couple participe à des soirées mixtes où l'on boit et l'on danse, et son déchirement est marqué par des flots d'injures, autant de lignes rouges dans la République islamique. Mehrjoui, un des rares réalisateurs existants dont la carrière remonte à bien avant la révolution de 1979, a expliqué avoir perdu toute motivation. "+Santouri+ est la victime du goût (des censeurs). Je reste assis chez moi à ne rien faire car je ne vois pas d'atmosphère propice au cinéma", a-t-il dit dans Etemad. L'Iran peut pourtant être fier de son histoire cinématographique. Le premier film parlant, "La fille Lor", de Abdolhossein Sepanta, date de 1932, et "Gav" a attiré l'attention des critiques bien avant la révolution. Le cinéma a fleuri à nouveau après 1979, avec la bénédiction de l'ayatollah Khomeiny et une forte inspiration alimentée par la guerre Irak-Iran. Cette tradition est célébrée au musée du film, à Téhéran, qui abrite la Palme d'or remportée à Cannes en 1997 par Abbas Kiarostami avec "Le goût de la cerise". "Nous attendons l'âge d'or du cinéma iranien, qui n'est pas encore arrivé", dit le directeur du musée, Mohammad Hassan Pezeshk. Une attente entravée non seulement par la censure mais aussi par le manque de moyens des cinéastes dont les oeuvres sont régulièrement piratées. L'Iran ne reconnaissant pas le droit d'auteur, un film comme "Santouri", interdit en salles, a pu être copié sur DVD à des milliers d'exemplaires, sans que cela rapporte un centime à son réalisateur.